Communication de crise, réputation et continuité des activités : l’exemple de Ferrero

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Le vendredi 11 avril 2022, l’Afsca, l’Agence fédérale belge pour la sécurité de la chaine alimentaire a ordonné la fermeture de l’usine de fabrication Ferrero à Arlon, en Belgique. Un coup dur pour l’entreprise qui voit ses activités interrompues à la veille de Pâques. En cause, des chocolats et confiseries contaminés depuis des mois sans que la marque piémontaise n’avertisse correctement ses clients ou les autorités.

La communication de Ferrero a été très tardive et « laisse clairement à désirer« [1] pour reprendre les mots de la presse. Le Géant italien de la confiserie a donné l’impression de n’avoir préparé aucune communication de crise et cela se ressent dans les messages adressés au public ainsi qu’aux autorités qui passent à côté des attentes. Le public et les consommateurs sont en colère — perte de confiance — et l’Afsca ferme l’usine d’Arlon.

Plusieurs médias et experts en communication ont notamment déjà souligné l’enjeu de la communication de crise sur la préservation de la réputation de la marque mais aussi du secteur alimentaire en général.

Je ne vais donc pas revenir sur l’impact négatif de cette crise sur la réputation de Ferrero. Un processus de communication de crise efficace aurait pu en effet limiter cet impact.

Dans ce billet de blog je vais plutôt m’intéresser à la place de la réputation comme enjeu de la communication de crise.  Cet enjeu est-il réellement central, notamment dans cette crise de Ferrero ? Le principal enjeu de la communication de crise est-il vraiment de sauvegarder la réputation ?

La réputation est-elle un enjeu majeur de la communication de crise ?

Beaucoup décrivent la communication de crise comme la « protection de la réputation de l’organisation ». Cette approche comporte quelques limites. La principale étant qu’on se place au centre de la stratégie de communication, en mettant les intérêts personnels de l’organisation au sommet des priorités. En d’autres termes, le succès et les réussites de l’organisation sont au centre de la stratégie. Le risque ici est de passer à côté des véritables attentes du public et des parties-prenantes (internes ou externes).

Dans la communication de Ferrero du 8 avril 2022 cela se ressent lorsque la marque parle de « défaillances internes, provoquant des retards dans la récupération et le partage d’information dans les délais impartis« .[2] A peine deux lignes pour évoquer en demi-teinte la responsabilité de la marque après un silence de plusieurs mois depuis décembre 2021 — moment où les premiers problèmes de contaminations auraient été connus. Une communication très brève qui donne l’impression que la marque cherche à minimiser le problème dans une volonté de préserver (avec plus ou moins d’efficacité) sa réputation. Cette impression est d’autant plus forte que Ferrero n’adresse pas même un mot d’excuse à ses consommateurs dans son message toujours en ligne à l’heure où j’écris ces mots.

De fait, la gestion de la réputation et la communication de crise sont des domaines différents avec des objectifs et des enjeux différents.

La communication de crise place les parties prenantes ainsi que les publics cibles au centre. L’enjeu est de lever les incertitudes parmi vos parties prenantes et de leur donner des perspectives. L’objectif est de préserver une relation de confiance. L’enjeu réputationnel n’est pas pertinent. Néanmoins, la communication de crise permet de préserver, rétablir voire d’accroître votre réputation mais une communication réputationnelle ne fait pas une communication de crise.

Les enjeux d’une crise

La plupart du temps, les organisations en situation de crise comme Ferrero doivent faire face à trois enjeux.

  1. La perturbation, l’arrêt ou le déclin de la continuité des activités.
  2. L’amenuisement significatif du capital sympathie parmi les parties prenantes
  3. La remise en question de la licence d’exploitation.

Les premiers et deuxièmes points peuvent amener au dernier point qui est la pire des possibilités pour les dirigeants d’organisations. Cette perte de licence d’exploitation peut se traduire par un dépôt de bilan ou la prise de contrôle hostile de l’organisation – par un concurrent – due à une baisse de la valeur des actions sur le marché des capitaux, par exemple. Mais elle peut également être ordonnée par un régulateur ou un organisme gouvernemental qui suspend la licence d’exploitation après un incident de trop. Les deux autres enjeux peuvent venir intensifier cette menace.

Dans le cadre du problème Ferrero, nous voyons bien que cette menace de perte de la licence d’exploitation est réelle, en particulier pour l’usine d’Arlon en Belgique (qui est elle-même une organisation). La fermeture de celle-ci par l’Afsca vient perturber la continuité des activités de la marque à la veille des fêtes de Pâques. En outre, cette fermeture est le résultat d’un manque de confiance de la part des autorités sanitaires belges auprès de Ferrero quant à sa façon de traiter les contaminations[3]. Par ailleurs, nous avons observé une méfiance significative à l’encontre des produits Ferrero sur les réseaux sociaux. Ces faits sont des conséquences de l’amenuisement du capital sympathie de la marque auprès des autorités et des consommateurs.

Si de telles situations venaient à se répéter ou à s’aggraver, la fabrique d’Arlon (ou le groupe même si cela est extrêmement improbable) pourrait être amenée à perde sa licence d’exploitation définitivement, pour les raisons évoquées précédemment. Effectivement, l’Afsca peut, en cas de problème, contraindre l’usine d’Arlon à fermer en lui « retirant son agrément ou son autorisation de production ».[4]

La protection de la licence d’exploitation, l’enjeu déterminant de la communication de crise

Et la communication de crise dans tout cela ? La protection de cette licence d’exploitation est l’un des enjeux majeurs de la communication de crise car son rôle est précisément de réduire les incertitudes des parties prenantes, tels que l’Afsca dans le cas de Ferrero, et de donner des perspectives. Il s’agit véritablement de préserver ou de (re)construire une relation de confiance avec les différentes parties-prenantes internes ou externes. Pour y parvenir, vous devez donner la priorité à l’intérêt général dans votre stratégie de communication. L’intérêt personnel de l’organisation n’est pas prioritaire dans la stratégie de communication.

En général, la communication de crise doit avoir une place cruciale au niveau stratégique de l’organisation. En particulier, au niveau de la gouvernance de crise. Le Conseil d’administration et l’équipe de direction doivent organiser leur entreprise en « gardant la crise à l’esprit » (« keeping crisis in mind »). La mise en place d’un processus de communication de crise validé à tous les niveaux de l’organisation (système plus étendu) aurait aidé non seulement le personnel d’Arlon, mais aussi les autres communicants de Ferrero.

Pour une stratégie de communication efficace, il faut certaines bases.

  1. Tout d’abord, il vous faut avoir une bonne vue d’ensemble de l’impact de la crise sur l’organisation ainsi que sur le contexte dans lequel vous évoluez. Quels sont les perturbations ? Quel en est l’ampleur ? A quel niveau ?
  2. Cartographiez la perception et les sentiments des personnes perçues comme les victimes les plus impactées. Examinez leurs besoins d’information et les besoins des publics plus larges (internes et externes) qui ont le plus d’incertitude concernant l’événement et la situation.
  3. Développez la position de l’organisation sur les évènements qui ont menés à la perturbation (& situation) et formulez un ensemble d’objectifs étayés visant à éliminer ces incertitudes avec le soutien de la direction (et du conseil d’administration). Enfin, traduisez ces positionnements en produits de communication concret (holding statement, interview, webcare, Q&A, communiqué de presse etc. que l’équipe de communication de crise peut exécuter et suivre de manière autonome.

Notez que la communication n’est pas une science exacte. La communication de crise est un processus très exigeant qui requiert des connaissances et une expertise pour établir un lien aussi large et aussi étroit que possible avec les différentes perceptions des parties-prenantes qui peuvent exister pendant la crise. La communication de crise ça ne s’improvise pas, ça se prépare. « Ce que nous faisons rarement, nous le faisons rarement bien« .

Souvent la communication de crise est confiée au responsable des relations publics ou du marketing ou de la communication. Des personnes qui ont été chargés de mettre en avant tout ce qui est positif et attrayant dans leur organisation. Beaucoup de travail réduit parfois en cendre lors d’une situation de crise. Dans ce contexte, comment se déconnecter émotionnellement pour élaborer une stratégie de communication de crise axée sur l’empathie ?

Conclusion

Au-delà de protéger sa réputation, si Ferrero avait mis en place une stratégie de communication de crise efficace, l’entreprise aurait surtout pu réagir rapidement aux incertitudes exprimées par le public mais surtout par les parties prenantes tels que les autorités sanitaires. De cette manière, nous pouvons supposer que la marque italienne aurait pu préserver sa relation de confiance et ne pas se voir obligé de fermer l’usine d’Arlon avec les conséquences que cela implique sur les activités. Une journée de fermeture imposée constitue un manque à gagner pour Ferrero et un coup dur pour le personnel d’Arlon qui est dans l’incertitude quant à une éventuelle reprise des activités.

Bien entendu, le fait que Ferrero ait tardé à communiquer sur les contaminations alors qu’elles étaient apparemment connues depuis des mois n’a pas aidé.

Si la marque piémontaise avait communiqué dès sa prise de connaissance des contaminations, sa réputation en aurait pris un coup mais elle aurait pu protéger ses relations de confiance avec ses parties-prenantes.

Cette relation de confiance est absolument essentielle afin d’éviter une remise en question de sa licence d’exploitation. Il s’agit donc là d’un enjeu fondamental de la communication de crise au niveau stratégique.

Il serait néanmoins intéressant de comprendre ce qui a poussé Ferrero à ne pas communiquer lorsqu’elle en avait la possibilité et pourquoi la communication de crise semble avoir été négligée à cet égard. Néanmoins, cette crise est une opportunité pour la marque italienne de tirer les leçons de ses erreurs afin de mieux réagir lors de la prochaine crise. « Never waste a good crisis ».

 

[1] M,-L.M « Ferrero : l’entreprise alimentaire n’avait pas prévu de communication de crise et cela s’est ressenti », article de presse, RTBF.be, 09/04/2022, consulté en ligne le 22/04/2022 : https://www.rtbf.be/article/ferrero-lentreprise-alimentaire-navait-pas-prevu-de-communication-de-crise-et-cela-sest-ressenti-10971978

[2] « Suspension temporaire des activités à Arlon : le rappel des produits kinder fabriqués dans la même usine est étendu. », communiqué, Ferrero, 08/04/2022, consulté en ligne le 22/04/2022 : https://www.ferrero.be/fc-4036?newsRVP=2196

[3] Bosseler, J., Buggraff, E., « Affaire Kinder : pourquoi l’Asca a fermé l’Usine Ferrero d’Arlon », Article de presse, Le Soir, 08/04/2022 , consulté en ligne le 22/04/2022 : https://www.lesoir.be/435173/article/2022-04-08/affaire-kinder-pourquoi-lafsca-ferme-lusine-ferrero-darlon

[4] Bosseler, J.,« Asca: des milliers de Contrôles, une centaine de mise à l’arrêt », Article de presse, Le Soir, 08/04/2022, consulté en ligne le 22/04/2022 : https://www.lesoir.be/435173/article/2022-04-08/affaire-kinder-pourquoi-lafsca-ferme-lusine-ferrero-darlon


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